Stare Decisis

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Principes généraux

Le principe « stare decisis » (« s'en tenir à ce qui a été décidé ») fait référence à l'exigence selon laquelle, lorsqu'une question juridique a été déterminée et tranchée, les autres tribunaux doivent suivre la décision.[1]

Ce principe est le « ciment qui maintient ensemble les différents niveaux de tribunaux canadiens et c'est le principe qui élève la primauté du droit au-dessus de la primauté des juges individuels ».[2] Elle est considérée comme « essentielle au droit » et comme un « pilier central » de notre système juridique. Elle assure la prévisibilité sans laquelle des résultats divergents seraient injustes.[3] Elle est considérée comme « fondamentale pour notre système juridique », permettant « un développement ordonné du droit par étapes progressives ».[4]

Cette exigence assure « la cohérence, la certitude, la prévisibilité et une saine administration judiciaire » et le respect des précédents « renforce la légitimité et l'acceptabilité du droit établi par les juges et, ce faisant, améliore l'apparence de justice ».[5]

Les principes ne s'appliquent pas lorsqu'une décision n'énonce pas une « règle de droit substantielle », mais applique simplement une règle existante à un ensemble de faits.[6]

L'énoncé d'un principe juridique équivaudra à un « avis de la Cour » lorsque le principe est accepté par une majorité de la Cour, quel que soit le nombre de dissidents sur le résultat.[7]

Composantes du « stare decisis »

Le principe peut être divisé en deux composantes. Le stare decisis entre les différents niveaux de juridiction (stare decisis « horizontal ») et le stare decisis entre les différents niveaux de juridiction (stare decisis « vertical »).[8]

Facteurs non pertinents à l'application

L'application du principe du stare decisis ne dépend pas de facteurs tels que la longueur du jugement, l'étendue de l'analyse du jugement ou le fait que la décision soit erronée en droit.[9]

Dissident précédent

Un juge qui a déjà exprimé sa dissidence sur la même question devant le tribunal doit généralement appliquer le droit tel qu'il a été décidé par la majorité dans l'affaire précédente.[10]

Cour suprême du Canada

Le refus de la Cour suprême du Canada d'entendre un appel ne constitue pas une approbation de la conclusion du tribunal inférieur.[11]

  1. Canada (Attorney General) v Bedford, 2013 CSC 72 (CanLII), [2013] 3 RCS 1101, par McLachlin CJ, au para 38 ("...the law requires that courts follow and apply authoritative precedents. Indeed, this is the foundational principle upon which the common law relies.)
  2. R c Hummel, 1987 CanLII 4075 (ONSC), 36 CCC (3d) 8, par Ewaschuk J, au para 7
  3. R c Arcand, 2010 ABCA 363 (CanLII), 264 CCC (3d) 134, par curiam, au para 182
  4. Bedford, supra, au para 42
  5. David Polowin Real Estate Ltd. v The Dominion of Canada General Insurance Co, 2008 ONCA 703 (CanLII), 300 DLR (4th) 491, par Laskin JA
    R c Roberts, 1997 CanLII 3313 (BCCA), 34 WCB (2d) 232, par Hall JA ("The law should not appear to materialize as a revolutionary rabbit from a judicial magician's hat.")
  6. Delta Acceptance Corporation Ltd. v Redman, 1966 CanLII 130 (ON CA), 55 DLR (2d) 481, par Schroeder JA
  7. R c Ibanescu, 2013 CSC 31 (CanLII), [2013] 2 RCS 400, par curiam, au para 1 ("a statement of a legal principle that is accepted by a majority of the Court constitutes the opinion of the Court with respect to that legal principle. This is so even if some of the members of the Court who endorse that legal principle dissent from the majority’s disposition of the appeal. ")
  8. R c Puddicombe, 2013 ONCA 506 (CanLII), 299 CCC (3d) 543, par Doherty JA, au para 65
    Canada v Bedford, supra, au para 39
  9. R c Youngpine, 2009 ABCA 89 (CanLII), 242 CCC (3d) 441, par Fraser CJ, au para 18
  10. e.g. R c Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 RCS 771, par Lamer CJ in dissent, referring to his dissent in Askov (1990) ("While I have never changed my mind as regards my dissenting position, I will, as I should, apply Askov to the facts of this case.")
  11. R c Cote, 1977 CanLII 1 (CSC), [1978] 1 RCS 8, par de Grandpre J at 16 (SCR)

Exceptions au principe du stare decisis

La common law anglaise prévoit trois exceptions aux principes du stare decisis.[1]

  1. « Le tribunal a le droit et l'obligation de décider laquelle de ses propres décisions contradictoires il suivra »
  2. « Le tribunal est tenu de refuser de suivre une décision de son propre chef qui, bien que non expressément annulée, ne peut, à son avis, être maintenue par rapport à une décision de la Chambre des Lords » ;
  3. « Le tribunal n'est pas tenu de suivre une décision de son propre chef s'il est convaincu que la décision a été rendue per incuriam, par exemple, lorsqu'une loi ou une règle ayant un effet statutaire qui aurait affecté la décision n'a pas été portée à l'attention du tribunal précédent »

Un juge de première instance peut s'écarter d'un précédent lorsqu'il se fonde sur un argument qui n'a pas été soulevé dans les affaires précédentes ou lorsque de nouvelles questions juridiques sont soulevées en raison de « développements significatifs du droit » ou si des changements « dans les circonstances ou les preuves... modifient fondamentalement » le « débat ».[2]

  1. Young v Bristol Aeroplane Co., [1944] K.B. 718
    Cross and Harris, Precedent in English Law, (4d) (Clarendon Press, Oxford, 1991), au p. 143
  2. Bedford, supra, au para 42 ("In my view, a trial judge can consider and decide arguments based on Charter provisions that were not raised in the earlier case; this constitutes a new legal issue. Similarly, the matter may be revisited if new legal issues are raised as a consequence of significant developments in the law, or if there is a change in the circumstances or evidence that fundamentally shifts the parameters of the debate.")

Renverser un précédent

Lorsqu'elle envisage d'annuler un précédent de la Cour suprême, la Cour doit mettre en balance l'importance de l'exactitude et de la certitude, en se demandant s'il est plus important de maintenir la certitude avec le précédent ou de garantir l'exactitude en le modifiant.[1] La Cour doit être convaincue qu’il existe des raisons impérieuses pour lesquelles le précédent devrait être annulé. [2]

Le seuil de recours pour annuler un jugement antérieur est considéré comme « élevé ».[3] Il ne faudrait pas que « la valeur de précédent d’une décision ... soit censée expirer avec le mandat du panel de juges qui l’a rendue ».[4]

Un précédent établi par un tribunal ne devrait pas être « écarté ou annulé à la légère ».[5] Cela sera particulièrement vrai lorsque le précédent aura été confirmé par une « majorité ferme » et développé pendant un certain nombre d’années.[6]

La décision de renverser un précédent est une question d'équilibre entre la justesse et la certitude.[7]

La modestie judiciaire et une adaptation mineure de la common law sont préférables à des changements « radicalement novateurs ou aventureux » de la loi, car ces derniers engendreraient incertitude et imprévisibilité.[8]

La simple critique d’un jugement « ne suffit pas à justifier son annulation ».[9]

Renverser un précédent de la Charte

Il a été souligné que lorsqu'elle envisage de renverser un précédent de la Charte, la Cour « devrait être particulièrement prudente avant de renverser un précédent lorsque l'effet est de diminuer la protection de la Charte ».[10]

  1. Canada (Attorney General) v Bedford, 2013 CSC 72 (CanLII), [2013] 3 RCS 1101, par McLachlin CJ, au para 47 ("...the question of whether this Court should depart from its previous decision on the s. 2(b) aspect of this case. At heart, this is a balancing exercise, in which the Court must weigh correctness against certainty ... . ")
  2. Canada v Craig, 2012 CSC 43 (CanLII), [2012] 2 RCS 489, par Rothstein J, au para 27 ("The Court must ask whether it is preferable to adhere to an incorrect precedent to maintain certainty, or to correct the error. Indeed, because judicial discretion is being exercised, the courts have set down, and academics have suggested, a plethora of criteria for courts to consider in deciding between upholding precedent and correcting error.")
  3. , ibid., au para 44
    Ontario (Attorney General) v Fraser, 2011 CSC 20 (CanLII), [2011] 2 RCS 3, par McLachlin CJ and LeBel J, au para 57 ("The seriousness of overturning two recent precedents of this Court, representing the considered views of firm majorities, cannot be overstated. This is particularly so given their recent vintage. Health Services was issued only four years ago, and, when this appeal was argued, only two years had passed. ")
  4. Plourde v Wal-Mart Canada Corp, 2009 CSC 54 (CanLII), [2009] 3 RCS 465, par Binnie J, au para 13
  5. Bedford, supra, au para 38
    Carter v Canada (Attorney General), 2015 CSC 5 (CanLII), [2015] 1 RCS 331, par curiam, au para 44
    R c Cody, 2017 CSC 31 (CanLII), [2017] 1 RCS 659, par curiam, au para 3
    R c Nur, 2015 CSC 15 (CanLII), [2015] 1 RCS 773, par McLachlin CJ, au para 59
  6. , ibid., au para 59
    Fraser, supra, aux paras 56 to 57
    Craig, supra, au para 27
  7. Nur, supra, au para 59
    Craig, supra, au para 27
    Bedford, supra, au para 47
  8. Lord Tom Bingham, The Rule of Law, London: Allen Lane, 2010 at pp. 45 to 46 ("it is one thing to move the law a little further along a line on which it is already moving, or to adapt it to accord with modern views and practices; it is quite another to seek to recast the law in a radically innovative or adventurous way, because that is to make it uncertain and unpredictable, features which are the antithesis of the rule of law.")
    R c Salituro, 1991 CanLII 17 (CSC), [1991] 3 RCS 654, par Iacobucci J, au p. 670 (SCR)
    Friedmann Equity Developments Inc v Final Note Ltd, 2000 CSC 34 (CanLII), [2000] 1 RCS 842, par Bastarache J, au para 42
    R c Kang-Brown, 2008 CSC 18 (CanLII), [2008] 1 RCS 456, par Lebel J, aux paras 14 to 16, et , aux paras 73 to 74, par Binnie J (concurring)
  9. Ontario (Attorney General) v Fraser, 2011 CSC 20 (CanLII), [2011] 2 RCS 3, par McLachlin CJ, au para 86
  10. R c Henry, 2005 CSC 76 (CanLII), [2005] 3 RCS 609, par Binnie J
    Nur, supra, au para 59

« Stare Decisis » horizontal (même degré de juridiction)

Les décisions antérieures d'un juge du même degré de juridiction ne sont pas contraignantes pour un juge et n'ont qu'une valeur persuasive. Cependant, lorsqu'une question a été tranchée par le même degré de juridiction, le principe de retenue judiciaire impose aux tribunaux d'appliquer la « courtoisie judiciaire » et de suivre la même décision, à moins qu'il ne soit dans l'intérêt de la justice de procéder autrement, y compris lorsque la décision précédente était « manifestement erronée ».[1] La règle de retenue judiciaire est particulièrement prononcée pour les décisions sur la constitutionnalité de la législation[2]

Certains suggèrent qu'une déclaration d'invalidité relative à une loi fédérale en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 lie les juges du même niveau de juridiction.[3]

  1. Re Hansard Spruce Mills Ltd, 1954 CanLII 253 (BC SC), 13 WWR 285, 34 C.B.R. 202 (B.C.), par Wilson J
    Ottaway (Re), 1980 CanLII 401 (BCCA), 110 DLR (3d) 231, par Seaton JA
    R c Sarmales, 2017 ONSC 1869 (CanLII), 139 WCB (2d) 164, par R. Smith J, au para 12 ("stare decisis, namely that a judge is not bound by a decision of another judge of the same court on the same issue. A decision by a judge of a court of concurrent jurisdiction is of persuasive value only")
    R c Scarlett, 2013 ONSC 562 (CanLII), 105 WCB (2d) 493, par Strathy J, au para 43
  2. , ibid. au para 12
    Scarlett, supra
  3. R c McCaw, 2018 ONSC 3464 (CanLII), 48 CR (7th) 359, par Spies J

Jugements pluralitaires

Un jugement pluralitaire est un jugement dans lequel un tribunal, généralement composé de cinq juges ou plus, tranche une affaire mais ne parvient pas à former une majorité complète sur les motifs du jugement.

Il n'existe pas de cas connus au Canada qui traitent de ce problème d'interprétation de la valeur de précédent du jugement.

International

En droit américain, les tribunaux ont développé la doctrine des « motifs les plus étroits » qui exige un examen de la ratio decedendi de l'affaire, qui doit être les motifs les plus étroits sur lesquels le jugement concordant a tranché l'affaire. [1]

En Afrique du Sud, il ne peut y avoir de rapport contraignant pour une affaire dans laquelle moins de la moitié des juges en exercice se joignent au jugement.[2]

  1. Marks v United States 430 U.S. 188 (1977) - original case to develop the Narrowest Grounds doctrine, sometimes called the "Marks rule" as a result
    voir également Mark Alan Thurmon, When the Court Divides 1992 Duke Law Journal Vol 42
  2. Fellner v Minister of the Interior, 4 S. AFR. L. REP. 523
    Thurmon, supra
    (App. Div. 1954)

Ratio Decidendi et Obiter Dicta

Les jugements ne sont pas comme la législation

Chaque déclaration d'un juge ne doit pas être traitée comme s'il s'agissait d'une loi. Certaines parties sont contraignantes et d'autres non.[1]

Ratio vs Obiter

Ratio decidendi (« ratio ») et obiter dicta (« obiter ») sont les termes utilisés pour distinguer les déclarations de droit contraignantes et les commentaires au sein d'une décision.

Il n'existe pas de « démarcation stricte et nette » entre ce qui est ratio et ce qui est obiter dans un jugement.[2]

Tout commentaire judiciaire dans une décision qui fait partie de la justification de sa décision est considéré comme faisant partie du ratio et est contraignant pour les tribunaux inférieurs.

Les obiter prendront souvent la forme de commentaires, d'exemples et d'exposés. Ceux-ci sont destinés à être utiles au lecteur et peuvent être considérés comme « convaincants » par d'autres tribunaux.[3] Un commentaire d'un juge dans une décision qui ne fait pas partie de la justification de sa décision est considéré comme un obiter. Les commentaires judiciaires qui sont des obiter n'ont pas d'autorité contraignante pour les tribunaux inférieurs. Les obiter peuvent toutefois avoir une autorité persuasive. [4]

Formulées négativement, les déclarations d'un tribunal supérieur ne sont pas contraignantes lorsque les mots sont « suffisamment en rapport avec le règlement de l'affaire ».[5]

Objectif

L'objectif de cette distinction est à la fois de promouvoir la certitude du droit et de permettre « la croissance et la créativité ».[6]

Poids du ratio

L'application du principe stare decisis ne dépend pas de la qualité de la décision de la cour d'appel, notamment de la longueur du jugement, de la profondeur de l'analyse ou même de l'exactitude du droit.[7]

Poids de l'obiter

Le poids de l'obiter est proportionnel à sa proximité avec le ratio decidendi.[8]

Les tribunaux devraient partir du principe que les obiter dicta de la Cour suprême sont contraignants.[9]

  1. R c Henry, 2005 CSC 76 (CanLII), [2005] 3 RCS 609, par Binnie J ("The notion that each phrase in a judgment of this Court should be treated as if enacted in a statute is not supported by the cases and is inconsistent with the basic fundamental principle that the common law develops by experience.")
  2. , ibid., au para 52 ("The submissions of the attorneys general were predicated on a strict and tidy demarcation between the narrow ratio decidendi of a case, which is binding, and obiter, which they say may safely be ignored. This supposed dichotomy is an oversimplification of how the common law develops.")
  3. Henry, supra, au para 57 ("...there will be commentary, examples or exposition that are intended to be helpful and may be found to be persuasive, but are certainly not “binding”...")
  4. Henry, supra
  5. Canada (Attorney General) v Bedford, 2012 ONCA 186 (CanLII), 282 CCC (3d) 1, par curiam, au para 69 appeal to SCC, [2013] 3 RCS 1101, 2013 CSC 72 (CanLII), par McLachlin CJ
    R c Prokofiew, 2010 ONCA 423 (CanLII), 256 CCC (3d) 355, par Doherty JA, aff’d 2012 CSC 49 (CanLII), par Moldaver J
    Henry, supra
  6. Henry, supra
  7. R c Youngpine, 2009 ABCA 89 (CanLII), 242 CCC (3d) 441, par Fraser JA (3:0), au para 18 ("The doctrine of stare decisis, that is precedent, is not based on the length of the Court of Appeal’s judgments nor on the extent of its analysis in individual cases. It is not even based on whether the Court of Appeal’s decision is arguably wrong in law.")
  8. Henry, supra, aux paras 52 to 59 ("All obiter do not have, and are not intended to have, the same weight. The weight decreases as one moves from the dispositive ratio decidendi to a wider circle of analysis which is obviously intended for guidance and which should be accepted as authoritative. ")
  9. R c Puddicombe, 2013 ONCA 506 (CanLII), 299 CCC (3d) 543, par Doherty JA ("In characterizing obiter from the Supreme Court of Canada, lower courts should begin from the premise that the obiter was binding.")